Lien hypertexte avec cancer de la peau

 

Lotions solaires: Le jeu de la confusion

 

Presque toutes les lotions solaires affirment protéger contre les dangereux rayons UVA. Mais dans bien des cas, la protection est insuffisante.

 

par André Bélanger

 

Avec notre écran solaire enrichi de Parsol 1789, vous ne ferez qu'une bouchée des rayons ultraviolets UVA, promet le fabricant de la lotion Ombrelle. Le Parsol 1789? Trop *controversé+, affirme plutôt le fabricant du produit Bain de Soleil, qui lui préfère le très *actif+ Parsol MCX, un excellent filtre contre les UVB. Pour les UVA, insiste-t-il, vous pouvez compter sur l'oxybenzone contenu dans nos lotions; il offre une protection à *large spectre+.

 

Vous en perdez votre latin? Pas surprenant: choisir une bonne lotion solaire aujourd'hui exige des connaissances en chimie de niveau quasi universitaire! Et certains fabricants se plaisent à entretenir la confusion. Qui d'entre vous en effet aurait pu savoir que le Parsol 1789 n'a jamais été controversé ou que l'oxybenzone ne protège en réalité que contre une infime partie des rayons UVA ?

 

Et pour y voir clair, le consommateur inquiet ne peut même pas frapper à la porte des experts en la matière. Santé Canada, qui régit les médicaments et les cosmétiques, reconnaît un produit qui ne protège pas efficacement contre les UVA, tandis que l'Association canadienne de dermatologie (ACD) vend son sceau aux fabricants de lotions solaires qui affichent un facteur de protection solaire (FPS) d'au moins l5, peu importe qu'elles protègent ou non contre les UVA.

 

Résultat: presque tous les produits se targuent de protéger efficacement contre les deux types de rayons ultraviolets. Et dans bien des cas, ils offrent une protection insuffisante contre les UVA.

 

Ces mortels UVA

Jusqu'à tout récemment, les rayons ultraviolets courts, les UVB, étaient LES rayons à contrer. En plus de provoquer des coups de soleil, ils sont les premiers responsables des 50 200 nouveaux cancers de la peau sans mélanomes apparus au Canada en 1 993 . Ces cancers sont douloureux, mais sans plus: s'ils sont dépistés à un stade précoce de leur évolution, ils se guérissent par la chirurgie au prix d'une cicatrice.

 

Il y a 10 ans, pourtant, les choses se corsent. On constate une hausse spectaculaire du nombre de mélanomes malins. Même si les 2 950 nouveaux cancers déclarés l'an dernier ne comptent que pour 5 % des cancers de la peau, ceux-là sont des tueurs. Au banc des accusés: les UVB... et les UVA, les ultraviolets longs, qu'on croyait anodins.

 

Ces rayons de faible puissance, qui pénètrent profondément dans la peau, provoquent aussi son vieillissement prématuré. Et ils agissent lentement. Si lentement qu'on a peine à mesurer la quantité de rayons UVA que la peau humaine peut supporter avant de manifester des symptômes.

 

Les FPS, qui donnent une indication précise de la protection contre les UVB, ne sont d'aucune utilité lorsqu'il s'agit des UVA. Cet indice affiché sur la bouteille signifie qu'on peut, avant que la peau ne commence à rougir sous l'effet des UVB, s'exposer au soleil 2, 15 ou 30 fois plus longtemps que lorsqu'on est sans protection.

 

Dans les faits pourtant, les lotions solaires qui ont un FPS de 15 offrent déjà une protection d'environ 93 % contre les UVB. Une lotion avec un FPS de 30 hausse cette protection à 97 %, soit 4 % de plus, tandis qu'un FPS de 45 bloque 98 % des rayons UVB, soit 1 % de plus seulement. On se perd dans les micro-nuances avec les FPS de 50 ou même de 60...

 

*Surtout qu'on ne devrait jamais rester exposé au soleil plus d'une ou deux heures par jour, peu importe le type de lotion qu'on utilise+, estime le Dr Pierre Ricard, président de l'Association des dermatologistes du Québec.

 

Pour ajouter à la confusion, les fabricants de lotions se sont lancés dans une course effrénée aux synonymes accrocheurs: lotion solaire avec filtres UVA-UVB, protection UVA-UVB, protection UVA à large spectre, intercepte la totalité des rayons UVA, protection intégrale. Certains, comme l'écran total multi-réflecteur de Vichy, promettent même une protection contre les infrarouges, des rayons jugés à peu près inoffensifs!

Une telle inflation verbale en matière de protection contre les UVA sème la confusion chez les consommateurs. Pourtant, Santé Canada rechigne à sévir. *L'entreprise a le droit d'afficher que son produit protège contre les UVA en autant qu'il contienne les anti-UVA reconnus par le ministère+, se défend Micheline Ho, chef de la Division de la réglementation des produits au Bureau des médicaments en vente libre de Santé Canada.

 

Ces anti-UVA reconnus sont peu nombreux: on compte des écrans physiques, soit le dioxyde de titane et l'oxyde de zinc, et des filtres chimiques, soit le Parsol 1789 et l'oxybenzone. Mais voilà: ce dernier ingrédient pose problème. L'oxybenzone est en effet un bon anti-UVB, mais un bien piètre anti-UVA.

 

*L'oxybenzone ne protège que contre les UVA très courts, explique 1e Dr Ricard. Il laisse passer la plus grande partie des UVA.+ Un avis que partage le Dr David Gratton, secrétaire de l'Association canadienne de dermatologie (ACD): *Seul le filtre chimique Parsol 1789 protège efficacement contre les UVA.+

 

A Santé Canada, on ne se formalise pas de ces quelques nuances. *Un produit qui affiche un FPS de 15 assure une certaine protection contre les UVA. I1 peut donc sans problème affirmer qu'il protège contre les UVA, lance Micheline Ho. C'est tout ce qu'on peut faire pour l'instant, puisqu'il n'existe pas de méthode standardisée qui permet d'évaluer le degré de protection contre les UVA.+

 

*Cette protection est insuffisante et ce n'est pas une raison pour ne rien faire, s'insurge le Dr Ricard. On mesure déjà le degré de protection contre les UVA en administrant des photo-sensibilisants aux patients. Cette méthode ne donne pas des résultats toujours constants, mais elle permet au moins de distinguer les produits qui protègent contre tout le spectre des UVA de ceux qui protègent contre une partie seulement du spectre.+

 

Le sceau de l'ACD

 

Une trentaine de produits affichent maintenant le sceau de l ' ACD, lequel garantit que *l'emploi régulier du produit aide à protéger la peau contre les coups de soleil et peut réduire les effets nocifs engendrés à long terme sur la peau par l'exposition au soleil.+

 

Doit-on en conclure que ce sont tous là d'excellents produits? Pas nécessairement. La lotion approuvée par l'ACD n'offre rien de plus qu'une protection équivalente ou supérieure à un FPS de 15. En aucun temps le sceau de l'ACD ne constitue le gage d'une protection optimale contre les UVA.

De plus, tout comme dans le cas du sceau des dentistes, les fabricants de lotions solaires doivent acheter celui de l'ACD--autour de 5 000 $ nous a confié un fabricant--pour pouvoir l'afficher. *Cet argent sert à soutenir les campagnes de prévention contre les abus du soleil+, explique le secrétaire de l'ACD, le Dr David Gratton, qui a refusé de confirmer le prix exigé par l'Association.

 

Le consommateur, pour sa part, risque fort d'en sortir encore plus confus. Ainsi, Coppertone affiche fièrement le sceau de l'ACD sur son produit UV-Guard FPS 30 contenant 4 % de Parsol 1789. A côté du sceau, on peut lire que ce produit *intercepte la totalité des rayons UVA+. *C'est impossible, voire faux, concède le Dr Gratton. Seuls les vêtements peuvent intercepter la totalité des rayons WA.+

 

La lotion UV plus 30 de Hawaiian Tropic affiche pour sa part le sceau de l'ACD à côté de la promesse d'une *protection équilibrée pour gamme UVA-UVB+ grâce au Parsol 1789 qu'elle contient. Mais voilà: elle ne contient que 1 % de Parsol 1789, soit la moitié de la quantité recommandée par le manufacturier de l'ingrédient et acceptée comme étant la norme par les dermatologistes. *Ça ne protège pas aussi bien que le produit qui contient la dose reconnue+, estime le Dr Ricard.

 

La course aux FPS

 

Certains fabricants ont vite compris que la préoccupation des consommateurs pour leur santé pouvait se transposer en espèces sonnantes et trébuchantes. Ils se sont donc lancés dans la fabrication de produits aux FPS toujours plus élevés. *Ceux qui lancent des produits avec des FPS de 50 ou plus ont là une bonne tactique de marketing, point! tranche le Dr Ricard. L'indice FPS est trompeur et peut être carrément dangereux, surtout si ça laisse l'impression au consommateur qu'il peut rester indéfiniment exposé au soleil. La meilleure protection solaire consiste à ne pas s'exposer au soleil du tout.+

 

Des médecins craignent aussi que la hausse de concentration en ingrédients chimiques qui va de pair avec l'augmentation des FPS ne s'accompagne d'une hausse des réactions allergiques. Déjà, on voit l'apparition de réactions allergènes à l ' oxybenzone, un produit qui remplace de plus en plus le PABA, lui-aussi reconnu pour ses propriétés allergènes... *D'un strict point de vue médical, on conseille un FPS de 15 à nos patients, insiste le Dr Gratton. On conseille parfois des FPS plus élevés, mais seulement pour les personnes qui font une activité qui les amène à s'exposer longtemps au soleil, comme lors d'une expédition de plein air.+

Le dossier est donc loin d'être clos en matière de protection solaire. Une chose à retenir toutefois: peu importe le type de protection utilisée, la modération a bien meilleur goût quand on s'expose au soleil.

 

 

 

Sachez lire une étiquette

 

Sans PABA. L'acide para-amino-benzoïque a été très populaire jusqu'au jour où on s'est rendu compte qu'il provoquait des réactions allergiques et qu'il tachait les vêtements. Une étude britannique réalisée sur des levures a associé le Padimate-O, un dérivé du PABA, à formation de cancers, mais aucun résultat semblable n'a été observé sur des humains.

 

Sceau de l'AC L'Association canadienne de dermatologie (ACD) vend son sceau aux fabricants de lotions solaires qui affichent un facteur de protection solaire (FPS) d'au moins 15. Cela ne vous assure toutefois pas d'être protégé contre les UVA.

 

SPF/FPS 15. Un facteur de protection solaire de 15 vous protège adéquatement contre les UVB dans le cadre d'activités normales. Peu importe la lotion, il est conseillé de ne pas rester plus de deux heures par jour au soleil.

 

Hydrofuge. Important si vous vous baignez, puisque le soleil brûle jusqu'à un mètre sous la surface de l'eau. Au dire des fabricants, leurs produits conservent 75 % de leur efficacité après une baignade de 20 min. Il est donc préférable de réappliquer la crème à la sortie de l'eau ou si on se sèche avec une serviette.

 

Protection UVA-UVB-IR. Pour être vraiment efficaces contre les UVA, les lotions doivent contenir du Parsol 1789 ou un écran solaire, tel du dioxyde de titane ou de l'oxyde de zinc. La protection IR est superflue: il n'y a pas de lien établi entre les infrarouges et le cancer.

 

 

 

Lexique chimique du petit débrouillard

Il existe deux types de protecteurs solaires: les écrans et les filtres solaires. Les écrans, dioxyde de titane et oxyde de zinc sont les meilleurs ingrédients contre les rayons ultraviolets, puisqu'ils bloquent complètement le passage de la lumière et donc les UVA et les UVB. Chimiquement inertes, ils présentent moins de risques de réaction allergique. Les dermatologues recommandent de choisir une lotion solaire contenant un écran en concentration d'au moins 2 %.

 

Les filtres solaires, par contre, sont des produits chimiques de synthèse ou des dérivés organiques chimiquement modifiés. En se liant à la peau, ils filtrent une partie du spectre des rayons W. Tous ces filtres présentent, à divers degrés, des risques d'irritation et d'allergie.

 

Les filtres anti-UVA

 

Le Parsol 1789, ou méthoxydibenzoylméthane de butyl, est le seul filtre solaire reconnu qui protège contre un large spectre d'UVA. Il n'entraînerait pas d'effet secondaire, sauf de rares allergies. Une lotion sera efficace si elle contient au moins 2 % de Parsol 1789.

 

Les filtres anti-UVB

 

On en trouve au moins quatre familles: les benzophénones (2-hydroxy 4-méthoxybenzophénone), mieux connus sous le nom d'oxybenzone, les cinnamates (éthylhexyl p-méthoxycinnamate et Parsol MCX), les salicylates et le Padiimate-O. Plus une lotion contient une forte concentration de ces produits, plus le FPS sera élevé.

 

Le Padimate-O, un dérivé du PABA (acide paraamino-benzoique), n'est à peu près plus utilisé à cause de ses propriétés allergènes et parce qu'il tache les vêtements.

 

 

 

Quelques conseils

 

Les rayons ultraviolets sont le plus puissants entre 10 et 15 h. Il est donc conseillé d'éviter de s'exposer au soleil entre ces heures, même enduit d'une lotion solaire. Par ailleurs, vous êtes exposé à 50 % des rayons ultraviolets même lorsque vous demeurez à l'ombre.

- Réappliquez la crème toutes les deux heures, peu importe le FPS, et plus souvent encore si vous vous baignez. Il faut prévoir une bouteille de lotion solaire par personne tous les quatre jours pour s'assurer d'une protection efficace.

 

- Les fabricants affirment qu'on peut garder les produits de deux à cinq ans, mais l'Association des dermatologistes du Québec recommande plutôt de les renouveler tous les ans.

 

- Appliquez la lotion au moins 30 minutes AVANT de vous exposer au soleil.

 

- Les dommages causés à la peau par les coups de soleil sont cumulatifs. Des recherches ont également démontré que l'apparition du mélanome malin à l'âge adulte est plus fréquente chez les personnes qui ont subi, au cours de l'enfance et de l'adolescence, un grand nombre de coups de soleil accompagnés de cloques; il est donc essentiel de protéger adéquatement les enfants contre les rayons ultraviolets.

 

- Habillez bébé, mais ne l'enduisez pas de lotion: la peau d'un enfant de moins de six mois est fragile, son système immunitaire est en formation et, en outre, il risque d'ingérer de la lotion en portant les mains ou les pieds à la bouche. On recommande d'utiliser un écran physique à base d'oxyde de zinc ou de dioxyde de titane pour les enfants de six mois à deux ans.

 

- Méfiez-vous du bronzage obtenu dans un salon. Malgré sa teinte, la peau résiste mal aux coups de soleil, puisqu'elle n'a pas épaissi normalement. De plus, les fortes doses d'UVA absorbées dans les salons risquent de provoquer un vieillissement prématuré de la peau.

 

 

 

Protégez-Vous / juillet 94, page 15